En une phrase :
D’abord, faire de l’épistémologie ‘fictionnelle’, pour ensuite proposer des nouvelles bases inattendues à la physique fondamentale/théorique.
En un peu plus détaillé :
Mon projet de recherche actuel en épistémologie est basé sur l’hypothèse de travail suivante:
Est-ce que les problèmes rencontrés par la physique fondamentale/théorique actuelle pourraient avoir comme origine des hypothèses implicites (ou ‘oubliées’) acceptées dès le tout début de la construction de nos théories modernes ?
Les problèmes en question sont les ‘gros’ problèmes de la physique, à savoir, l’absence d’interprétation ‘réaliste’ de la théorie quantique, incompatibilité entre la relativité générale et la physique quantique, nature de la matière noire, celle de l’énergie noire, etc…
C’est donc en quelque sorte faire un grand écart entre les préoccupations actuelles des physiciens théoriciens et celles des épistémologues et historiens des sciences.
Cela conduit naturellement à fortement s’intéresser à l’histoire des sciences de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, période durant laquelle sont nés les deux grands piliers théoriques de la physique actuelle : théorie de la relativité générale (TGR, acronyme anglophone) d’une part, et la ‘théorie quantique’ d’autre part. A noter, qu’un autre élément important de la physique moderne, la théorie de la relativité restreinte (TSR, acronyme anglophone), est commun à ces deux piliers : pour le premier, la notion d’espace-temps (‘mathématiquement’ construite par H. Minkowski, mais issue des travaux de H. Lorentz et A. Einstein) est essentielle à la TGR; quant au second, le modèle standard de la physique des particules (un des sous-domaines la ‘théorie quantique’) a par exemple intégré la TSR par la présence des antiparticules (via l’équation de Dirac).
Toutefois, ma démarche n’est vraiment pas celle d’un historien des sciences puisque je réexamine la construction de connaissance passée à l’aide des connaissances actuelles : j’utilise donc l’anachronisme (le péché d’un vrai historien !) comme un outil heuristique pour tenter d’apercevoir des fondements implicites des théories physiques, c.-à-d. des hypothèses jamais réellement formulées (ou jamais mises en exergue) mais logiquement nécessaires à leur cohérence globale.
Un travail d’épistémologie ‘classique’ est normalement respectueux du contexte historique dans lequel s’est construite une connaissance/théorie (donc en évitant par exemple des anachronismes tels que d’interpréter une expérience avec des notions apparues plus tardivement) ; c’est donc une épistémologie ‘réaliste’ : on tente de se mettre à la place du savant dans son époque pour comprendre, par exemple, comment il a interprété telle expérience ou a proposé telle théorie. Or, dans beaucoup de cas, l’interprétation d’une expérience (ou le choix des notions fondamentales d’une théorie) aurait pu être confrontée à plusieurs possibilités logiques ; ainsi le choix parmi ces possibilités est alors souvent contraint par plusieurs paramètres : contexte scientifique, contexte historique, contexte sociologique, psychologie du savant, etc.… et c’est justement le rôle de l’historien des sciences d’essayer d’évaluer l’importance de chacun de ces paramètres. En restant fidèle aux contextes historiques, on peut donc potentiellement reconstruire le mode de pensée des savants afin d’arriver exactement aux mêmes résultats qu’eux : on comprend donc comment et pourquoi telle connaissance a été construite, ce qui est le but même de l’histoire des sciences et de l’épistémologie. A l’inverse, si on fait exprès de mobiliser des connaissances actuelles pour interpréter des expériences historiques ou pour juger de la pertinence d’un choix théorique du passé, on a certes peu de chance de comprendre les anciens savants, mais il est parfois possible d’arriver à des interprétations/conclusions différentes de celles proposées (et/ou acceptées et/ou validées) jusqu’alors. C’est faire ce que l’on pourrait appeler de l’épistémologie ‘fictionnelle’ : si tel savant de telle époque avait accès à une partie de nos connaissances actuelles, qu’est-ce que ça aurait pu changer dans la suite de ces expériences/théories ? Bref, ça peut donner des idées nouvelles pour la compréhension du monde physique ; c’est l’aspect heuristique de l’exercice. C’est en quelque sorte détourner le but d’une épistémologie classique au profit de la physique théorique (dans le sens d’apporter de nouveaux concepts potentiellement mobilisables dans la construction de cadres théoriques novateurs).
A noter que cet exercice d’épistémologie ‘fictionnelle’ ne fait pas forcement intervenir de réels anachronismes : on peut aussi jouer avec la non connaissance ou la non prise en compte, volontaire ou non, de la part d’un savant (ou d’une communauté de chercheurs) d’éléments de connaissance produits par d’autres savants et/ou d’autres disciplines, pourtant de la même époque. L’exemple typique pouvant être l’interprétation d’une expérience qui est présentée, par l’expérimentateur, comme étant la découverte d’un phénomène particulier ou d’une entité particulière, alors que d’un point de vue purement épistémologique, elle ne peut pas être une preuve ultime (selon le principe de la ‘sous-détermination des théories par les données’) mais n’est que la réfutation d’une hypothèse adverse. Cette ‘découverte’ ne doit alors son passage dans la postérité que par l’absence d’imagination des autres chercheurs (contemporains à l’expérience ou ultérieurs) qui ne proposent pas d’autres hypothèses non compatibles avec cette ‘découverte’ mais restant en accord avec l’expérience (alors dite, à tort, ‘cruciale’). Un exemple concret est peut-être la ‘découverte’ de l’électron par J.J. Thomson en 1897. En effet, parmi les ‘nouvelles bases inattendues’ évoquées plus haut, il y a en particulier la possibilité de comprendre le monde physique sans le concept d’électron !
Ma démarche de publication
Ma première publication (Foundations of Science 2018) dans le cadre de ce projet de recherche traite des paradoxes du mouvement de Zénon d’Elée. Ce sujet peut sembler fort diffèrent des préoccupations décrites ci-dessus. Pourtant, il s’agit de la même démarche : c’est se poser la question (qui peut effectivement paraître saugrenue) « Et si Zénon avait eu connaissance de l’existence de l’agitation thermique, ça change quoi dans son argumentation ? ». La conséquence d’une telle hypothèse ‘bizarre’ est d’avoir pu trouver ce qui faisait défaut depuis 25 siècles, à savoir une solution logique à ces fameux paradoxes. Cette solution consiste à rejeter la notion d’immobilité comme étant pertinente pour décrire la réalité. J’ai l’impression que ce simple résultat peut changer la donne autant au niveau philosophique qu’au niveau scientifique : c’est le but de mes futurs travaux et articles de rendre cette impression plus concrète.
Ce projet de recherche peut certes sembler assez hétérodoxe, mais ma ‘stratégie’ de partage de mes idées reste celle d’un chercheur académique ‘normal’ : je rédige des articles que je soumets à des journaux philosophiques/scientifiques ; soit c’est accepté pour publication et c’est alors annoncé sur ce site, soit c’est refusé en espérant avoir des critiques constructives de la part des reviewers afin de pouvoir améliorer l’article (puis le ré-soumettre à un autre journal). Ma première publication (Foundations of Science 2018) est par exemple le résultat de trois processus de review (et la version finale publiée est bien différente de la première version soumise ; merci aux six reviewers anonymes pour leurs apports constructifs). Bref, je ne souhaite pas dévoiler toutes mes pistes de recherche sur ce présent site avant validation par des pairs.
En particulier, j’ai déjà quelques idées assez précises sur un nouveau cadre théorique qui semble assez prometteur pour résoudre les ‘gros’ problèmes de la physique. Ces idées me sont en partie venues après la constatation de certaines lacunes épistémologiques dans les théories actuelles. Comme je ne souhaite pas reproduire les erreurs de certaines démarches scientifiques passées, ce nouveau cadre théorique ne sera probablement dévoilé qu’après s’être assuré de la solidité des bases philosophiques (voire métaphysiques) qui le sous-tendent. Ainsi, mon travail actuel en philosophie des sciences est une façon de préparer les fondations pour une construction scientifique plus ambitieuse (mais peut-être même trop !). Dans ce sens, je défends une continuité naturelle entre le champ disciplinaire de la philosophie (des sciences) et celui de la physique fondamentale/théorique, ce qui ne me semble pas être trop le cas dans l’organisation actuelle de la recherche.
Source (avant modification) de l’image d’illustration : http://wise.ssl.berkeley.edu/gallery_thesky.html